Au revoir, monsieur Savignac !

Raymond Savignac allait avoir 95 ans dans quelques jours. Sa casquette de tweed, ses larges lunettes à montures écailles, ses pantalons à carreaux oranges et roses, sa canne à pommeau ouvragée n'arpenteront plus les planches de la promenade qui porte son nom. Pas peu fier notre auvergnat de Paris d'avoir sa rue à Trouville, lui dont le père disait à qui voulait l'entendre qu'il ne ferait rien car "il aimait trop le sirop des rues" ! Certificat d'Etudes en poche, après une courte formation au cours complémentaire Lavoisier à Paris, il pense un temps - comme beaucoup de jeunes de sa génération -, devenir coureur cycliste, puis dessinateur de presse humoristique.

Sa rencontre avec Cassandre en 1935, décide de son avenir. Il devient son seul assistant régulier (son disciple, selon les termes du maître lui-même) jusqu'au départ de l'incontestable chef de file des trois mousquetaires* en 1938 pour les Etats-Unis. Robert Guérin, agent publicitaire, lui apporte ensuite son soutien et son appui matériel.

En 1949, lors de l'exposition organisée en commun avec son camarade Villemot, le patron de l'Oréal, Eugène Schueller, remarque la vache Monsavon, dessin qu'il avait jadis refusé mais payé ! C'est le véritable début de sa carrière : "Je suis né à 41 ans des pis de la vache Monsavon". Dès lors, il ne cessera jamais de mettre de la bonne humeur dans ses affiches. Chef de file du "gag visuel", puisé dans les burlesques américains de son enfance, Savignac trouve des idées drôles, efficaces pour une série d'histoires sans paroles où se mêlent personnages et savante ménagerie - des petits chefs-d'Suvre de communication visuelle aux couleurs vives, cerne marqué et dessin faussement enfantin. Plus de 350 des grands annonceurs feront appel à lui (Aspro, Bic, Citroën, Gitanes, Maggi, Perrier, Renault, SNCF - il saura chaque fois trouver une idée magique pour les servir (le tunnel Aspro, les chevrons Citroën, les demi- passagers de la SNCF&)

Savignac s'était retiré, voila 22 ans, à Trouville, en Normandie, au bord de la mer. Cet air marin l'a sans doute aidé à conserver son humour, ses pirouettes graphiques et la vivacité de son trait. Il a aussi renouvelé son inspiration qui, d'urbaine et terrienne s'en est retrouvée marine. Au fil des années sont apparues la mouette - omniprésente pour Trouville - et tout ce qui touche au littoral, les marins, les sirènes, les voiles, les vapeurs. Les couleurs ont évolué dans ce sens : le jaune est devenu plus "sable", le bleu plus normand - des éléments nouveaux pour constituer ce qu'on appellera sans doute un jour sa période trouvillaise.

Florence Robert

* les trois mousquetaires étaient, comme il se doit, quatre : Paul Colin, Jean Carlu, Charles Loupot, Cassandre